mardi 31 décembre 2013

Un retour nocturne un peu particulier

Roissy-Charles de Gaulle, premier aéroport français, deuxième européen et 9e mondial. Pour un bon nombre de pilotes de ligne, c'est la maison.
Pour les pilotes privés, c'est surtout une contrainte, une des raisons de l'existence de la classe A parisienne. Quand je passais mon PPL à Lognes, Roissy, c'était le gros voisin qu'il fallait contourner par l'est et le nord pour aller à Pontoise si on ne voulait pas emprunter le transit nord par la verticale du Bourget (qui était encore ouvert à tous à cette époque où 911 ne désignait qu'un nombre ou un voiture, et pas encore une triste date).
Pour beaucoup de pilotes basés au Bourget, comme moi, c'est l'habituel terrain de dégagement, dont on regarde la météo et les notams en préparant le vol, mais où on n'a jamais posé les roues.

Ce jour de décembre, nous descendions des passagers dans le sud-est en fin d'après-midi, et on les ramenait sur Le Bourget en fin de soirée. La météo était très bonne à destination, mais risquait de nous causer quelques soucis pour le retour.

Impossible de prendre Roissy comme dégagement avec du BKN001 dans le TAF. Un plafond déjà en dessous de nos minimas d'ILS Cat I, et encore plus en dessous des minimas de l'approche de non précision qu'on doit prendre en compte pour l'alternate. Il fallait donc trouver un autre aéroport accessible à la fois au niveau météo et au niveau fuel.

Pour simplifier l'équation, nous avions au retour 8 passagers, soit quasiment la capacité maximum de notre Beech 200 (9 pax). Qui dit beaucoup de passagers, dit moins de carburant à bord. Avec les pleins complets, on peut embarquer... un seul passager (en plus des deux pilotes). 8 passagers, ça veut donc dire près de 1500 livres de fuel en moins par rapport au plein complet, soit presque 2 heures et demie de vol. Pas très gênant sur un vol court comme Nice-Paris habituellement, mais quand la météo est aussi pourrie qu'elle l'était ce jour là, ça limite les possibilités de dégagement.

Notre petit navion a un avantage : il peut se poser sur de nombreux aérodromes, il lui suffit d'une piste de 1000 mètres. Mais quand il fait nuit, le nombre d'aéroports possible se réduit nettement : nous sommes en transport public et nous avons besoin de pompiers sur place. Notre retour était prévu pour 0h30 environ. A cette heure là, Orly et Toussus sont fermés, il n'y a pas de pompiers à Pontoise. Lille est inaccessible cause MTO pour le moment, Rennes idem.

Un coup d'oeil à Met Map pour aider à trouver dans quel coin il fera suffisamment beau : l'aéroport accessible le plus proche est... Gatwick ! Ce sera notre aérodrome de dégagement officiel (c'est à dire celui indiqué dans le plan de vol). Evidemment, j'espère bien que si Le Bourget est inaccessible, on pourra se poser ailleurs, au moins du bon côté de la Manche.

Pendant le briefing, je propose à mon copi d'être PF sur l'aller, en expliquant que je préfère monitorer le retour, que je pressens rock and roll. Il est d'accord.


Après un vol calme pendant lequel le soleil se couche sur notre droite, c'est donc moi qui ai le plaisir de faire une superbe approche à vue et à la main sur Nice, en contournant soigneusement le cap d'Antibes pour ne pas déranger les commandants de bord qui n'aiment plus le bruit des avions depuis qu'ils sont à la retraite au soleil.

Après un dîner dans le resto de l'aérogare avec un copain pilote privé et futur pro, avec vue sur les pistes, on repart avec tous nos passagers. Avant la mise en route, j'ai prévenu ma direction qu'il y a de bonnes chances pour qu'on se pose ailleurs qu'au Bourget, vu la météo.

Dès qu'on est tranquilles au niveau de croisière, j'écoute le VOLMET de Marseille pour avoir une idée de la météo à Paris. Tiens, c'est ennuyeux, justement, le METAR de De Gaulle n'y est pas. Je tente la fréquence VOLMET in english, c'est pareil. Je préviens Marseille Contrôle, et le contrôleur, qui ne comprend visiblement pas de quoi on parle et nous transfère opportunément à ses collègues de Paris (Allez, les copains, démerdez-vous avec ce pilote qui me pose une question casse-couilles).

J'écoute le VOLMET de Paris, et tiens, comme c'est bizarre, pas de MTO pour de Gaulle non plus (ni sur la fréquence FR, ni sur la fréquence en anglais). On en parle au contrôleur, qui demande "Qu'est ce que vous appelez un VOLMET, exactement ?" Arnaud lui explique patiemment que ce sont des fréquences diffusant les METAR des principaux aéroports pour les petits avions comme nous qui n'avons pas d'ACARS. Le temps de faire tout ça, on s'approche de Paris et j'arrive à choper l'ATIS du Bourget qui, à cette heure là, demande de contacter la tour pour avoir la dernière météo :

- Le Bourget tour bonsoir, XXX, j'aimerais savoir quel temps il fait chez vous ?
- Pas beau du tout ! Plafond inférieur à 100 pieds et RVR 550 mètres.
- Merci. Et ça a évolué comment au cours des deux dernières heures ?
- Plutôt tendance à la dégradation...

Boooon ! On se pose face à l'ouest, on a une hauteur de décision de 200 pieds. Et le plus embêtant, c'est la RVR. Il nous faut 800 mètres en 27 (pas de grosse rampe au Bourget, et la piste est également assez faiblement éclairée, pour éviter que les pilotes de gros se trompent de piste (ce qui n'arrive jamais, comme chacun sait !) quand ils se posent sur le doublet sud de De Gaulle).

A Roissy, c'est pas top mais c'est posable. On sait aussi que Lille est pour le moment accessible, ce sera toujours mieux que Londres. Par acquis de conscience, je prends aussi la MTO à Orly (qui est fermé, mais il y a un contrôleur à la tour en cas d'emergency). Il fait TRES beau à Orly, qui sera notre solution de repli si ça se ferme à Roissy et Lille. Et s'il faut se prendre pour un Ryanair et balancer un Mayday fuel pour qu'Orly nous accepte, on le fera ! Je préfère ça plutôt que d'arriver sur Gatwick avec une météo très moyenne et juste la réserve finale !

On arrive sur la STAR, De Gaulle nous transmet la dernière du Bourget (qui est sensiblement la même que celle que j'ai prise un peu plus tôt) et nous demande nos intentions. Je réponds qu'on va poursuivre encore sur la STAR du Bourget pour prendre une toute dernière avant de passer la porte, mais qu'il y a des chances pour qu'on dégage à Roissy, et je demande si, dans ce cas, ce serait la 26 gauche ou la 27 droite. La 26L, répond De Gaulle.

Arnaud a déjà briefé l'approche 27 au Bourget, il fait de même pour la 26L de Roissy afin qu'on soit parés. Le brief sur la remise des gaz est nettement plus simple : montée à 4000 ft dans l'axe (pour la 27 au Bourget, la procédure de RDG est "un peu" plus compliquée : dans l'axe en montée vers 1000 ft. A 3,5 NM de BT, virage à gauche sur le 245 de BT en montée vers 2000 ft. A 6 NM de BT, virage à droite sur le 315 de PON en montée vers 3000 ft. A 11 NM de BT montée vers le FL70. Après PON, on poursuit sur MOPAR. Ouf !)

On avance sur la STAR, on est encore en gros en base. Je rappelle Le Bourget pour avoir la dernière : toujours aussi pourri. Rapide concertation : inutile de perdre du temps, on va direct sur Roissy. Je préviens De Gaulle qui nous donne un cap pour intercepter l'ILS 26L. Je préviens rapidement notre handling au Bourget pour qu'ils envoient des voitures à Roissy afin de récupérer nos passagers. Puis on se concentre sur l'approche, c'est la première fois qu'on la fait.


L'axe se rapproche, et nous voilà établis sur le LOC 26L, et on voit les deux doublets alors qu'on est encore à près de 15 NM. On attrape le glide. La vue est superbe. Devant nous, le doublet sud de Roissy, à droite les aérogares et le doublet nord au-delà. Et à gauche de Roissy, un tapis de nuages bas qui couvre toute la banlieue nord (et Le Bourget avec).

On est en conditions VMC, et donc, avec l'accord de mon copi, je dégaine rapidos le téléphone pour immortaliser l'événement. Pour Arnaud comme pour moi, c'est notre tout premier atterrissage à De Gaulle. Ca paraîtra banal aux pilotes qui y sont basés, mais pour nous, c'est énorme !



- XXX, autorisé atterrissage piste 26 gauche
- Autorisé atterrissage piste 26L, XXX. Pour info, on aura besoin d'un guidage au sol, c'est la première fois qu'on se pose chez vous !
- Pas de problème, on va s'occuper de vous !

On pourrait se poser (très) long, étant donné la longueur de la piste, les perfos de notre petit Beech 200 et l'endroit où on va dégager. Mais plus on s'approche de la piste, plus on voit qu'elle baigne en fait dans une petite brumasse. Arnaud se pose donc sur la zone de toucher qui est éclairée. On dégage par V4. Le plus dur commence (sur les gros aéroports, le plus compliqué n'est pas l'approche et l'atterrissage, mais de ne pas se perdre au roulage). C'est d'autant moins simple qu'on est même maintenant dans un bon brouillard.


On roule prudemment, on est autorisés à traverser la 26R pendant qu'un gros s'aligne et attend. Il a bien collationné, c'est bon, il ne va pas nous foncer dessus. Une fois sur le long taxiway N, c'est tout droit pendant un moment, je me tourne donc vers nos passagers pour les prévenir qu'on a atterri à De Gaulle. Ils croient que je plaisante. "Non non, je vous assure. Regardez à droite, on va passer devant le Concorde en exposition."


On arrive à notre parking, S27, au sud du terminal 1 qui est tout illuminé.


Je remercie le contrôleur sol et lui demande si il sait comment ça se passe maintenant. "Heuuu, non, je ne sais pas, on n'a pas trop l'habitude ! Ne quittez pas, je me renseigne !" 30 secondes plus tard, il nous dit que quelqu'un de Swissport va venir nous chercher. Je préviens le boss qu'on est à Roissy.

C'est un énorme bus qui arrive, pour nos... 8 passagers, qui sont amusés par l'aventure et se prennent en photo. On abandonné notre petit King Air dans le brouillard, à côté d'un gros qui pourra le rassurer ! :-)


C'est par le terminal 3 qu'on sort de l'aéroport. Retour au Bourget en voiture. Plus on avance, plus le brouillard devient dense.

Au Bourget, on finit la paperasse, et, pour la première fois, on écrit LFPG sur nos carnets de vol !
Ce n'est que le lendemain que l'aventure se termine pour l'avion. A notre grand regret, c'est un autre équipage qui le rapatrie, et qui a donc la chance de faire un décollage en piste 26R à Roissy, de survoler De Gaulle à 1000 pieds, puis de faire une petite baillonnette pour se poser sur la piste 25 au Bourget. Temps en l'air : 3 mn. Temps total de roulage : 30 mn.


4 commentaires:

Anonyme a dit…

Enorme ! Merci pour ce magnifique récit Olivier !

Franck a dit…

Super récit, et quelle expérience.
Merci Olivier.
Bonne année et que tes veux se réalisent.

Unknown a dit…

ça donne envie! En espérant trouver un poste équivalent en 2014, même si, comme tu ne le caches pas, les conditions financières ne sont pas terribles en copi.

didier a dit…

Excellent reportage Olivier !!
Au plaisir
Didier didairbus